mardi 9 juin 2009

L'internaute vous veut du bien

C'est toujours vendeur d'intituler « psychologie » n'importe quel radotage de pseudo-bon sens. Ça me paraît en tout cas le fond de commerce de pas mal de journaux prétendument conçus pour un lectorat féminin. Par des moyens que je préfère taire, je suis tombée dernièrement sur cet article publié par le site « l'internaute ». En en discutant avec un collègue (qui pour des raisons de santé mentale, a préféré supprimer son compte de ce site...) je me suis aussi aperçue que le mail qui est régulièrement envoyé aux abonnés est adapté au genre : du coup, comme dans un moment de faiblesse, j'ai mis "Féminin" (d'habitude je mets systématiquement l'inverse pour éviter de m'auto-ficher) je reçois les niaiseries les plus infantilisantes que j'ai jamais lu. Comme c'est bon d'être une femme ! Bref...

http://www.linternaute.com/femmes/psychologie/couple/dossier/re-trouver-l-amour-a-30-40-ou-50-ans/retrouver-l-amour-a-30-40-ou-50-ans.shtml


Comme le titre me paraissait prometteur, vous pensez que je me suis précipitée sur l'article. Effectivement, ça ne manquait pas de croustillant. Problème, en ce qui me concerne, leurs conseils ne serviront à rien. Du moins, c'est que j'ai cru. Et puis, il s'est trouvé que j'ai compris le fond de l'article. En fait, ça n'a rien à voir avec l'amour. Au contraire: il s'agit de commerce.

Jamais en effet le terme de « commerce » n'aura été plus adapté qu'à la façon dont ce genre de journaux (on est bien d'accord, journal est un terme péjoratif, je ne voudrai surtout pas salir celui, trop couramment employé, de torchon) considère les relations entre êtres humains. Sans parler, dans ce cas précis, des relations entre membres d'un couple, curieusement (je feins de m'étonner, car enfin, est-ce si curieux ?) uniquement considéré comme une femme et un homme... (deux hommes ? Ô mon dieu ! Deux femmes ? Jésus-Marie-Joseph, quelle horreur !), sans se limiter, donc, à ces relations, l'ensemble des relations entretenues se voient considérées sous l'angle de l'utilité, de l'efficacité, bref, du comptable. Et ne venez pas, de grâce, me parler d'opérations hors-bilan, de ces engagements ambigus, peu raisonnables, clandestins, frauduleux, que-sais-je ? 30 ans, ma vieille, tu permets qu'on se tutoie ? Va falloir arrêter tes conneries ! L'amour ? 30 ans ! Et l'horloge biologique alors ?

Les lois du marketing étant ce qu'elles sont, la présentation est celle de la plaquette commerciale. Truffée de lieux communs, de positivisme, d'humour gentillet, et illustrée de photos-clichés qui ne seraient pas complètes sans le petit copyright de Getty Images. (Rien à voir avec /sbin/getty, je pense...).

Mais enfin, bref ! Vous revoilà célibataire ? Ou chômeur ? Ou avec une voiture d'occase à fourguer ? Vous verrez, il y a plein de point communs.

Une dernière parenthèse et c'est parti : je voudrai féliciter les architectes du site de l'internaute : j'aurais jamais pensé qu'on serait aussi incapables de mettre en place une architecture d'hébergement sans affinité de session au point de devoir accepter un cookie par page visitée ! Serait grand temps de prendre des cours d'informatique, les ami(e)s.

Étape numéro 1 : être clair avec ses histoires passées.

Assurez-vous de bien avoir nettoyé les vide-poches avant de mettre la voiture en vitrine. Le contrôle technique est OK ? L'indice qui ne trompe pas : fondre en larmes ou avoir envie de lui arracher les yeux. Vous remarquez au passage la délicatesse des sentiments, et leur côté mélo-dramatique propre à s'adresser au public idoine.

En même temps, comme les conseils sont donnés à titre gratuit, ils s'entourent d'un luxe de précautions oratoires afin d'éviter le procès : « Si vous […] c'est que vous n'êtes peut-être pas [...]» mais attention, « Ça ne veut pas forcément dire que [...] Mais, à tout le moins, vous êtes à peu près […] , c'est bon signe ! ». Ou pas.

Les ingrédients typique de la démarche d'avant-vente se trouvent notamment réunis : pas de scrupules, pas de regrets, confiance en soi, confiance dans le produit. On peut y aller.

Étape numéro 2 : faire le bilan.
Attention : cette fois, il s'agit de s'améliorer. Faire mieux et plus longtemps, comme pour le Guiness Book des records. Alors, il faut définir une politique stratégique claire : « [...] une bonne chose à savoir pour la prochaine fois : si votre prospect (sic) montre des signes de possessivité, passez votre chemin, vous savez qu'il n'est pas pour vous. »

« De grâce : ne reproduisez pas la même chose avec le suivant » De grâce ! Il faut faire mieux. Focalisez-vous sur votre objectif !

Évidemment, il est difficile de préconiser l'échec... mais le froid calcul de planification stratégique m'avait jusque-là toujours paru difficilement compatible avec les sentiments. Faut croire que je suis plus toute jeune, moi non plus.

Bon. C'est pas tout ça, cessons de nous disperser en vaine rêveries : « vous qui ne manquiez jamais de vous maquiller avant de le retrouver pendant les premiers mois avez fini par vous balader devant lui dans votre peignoir défraîchi » ? On jette le peignoir défraîchi, on va faire les soldes, et zou ! En avant !

Étape numéro 3 : apprendre à être bien seule.

Toute entreprise doit avoir son capital, c'est entendu. Ça permet de ne pas se jeter sur le premier client non solvable venu. Rien à voir avec « un combat pour le féminisme et l'indépendance mais de bon sens ». Opposer aussi magistralement féminisme, indépendance et bon sens, il fallait oser. D'un autre côté, est-ce vraiment de bon sens d'être féministe ? Je veux dire, vous savez, « la féministe » c'est peu comme le bolchévik de la bonne époque avec le couteau entre les dents !

Revenons au capital : Le capital pour investir dans une relation, c'est la capacité à être autonome. Et pour ça, pas de secret...

a) Rester seule chez soi : « cela vous paraitra peut-être un peu tristounet. » Ou pas, hein, attention, on peut pas être vraiment sûr ! Cela dit, vous pourrez « vous avachir dans le canapé et regarder le programme télé » ! La liberté, quoi ! Non, parce la solution de trainer la savate seule dans la rue, ha ben merci, on voit où ça mène ! Flâner ? Errer ? Musarder ? Ho là ! A trente ans, va falloir devenir raisonnable.

b) Développez votre réseau social. Vous faire des « amis », en fait. Bon, mais des amis utiles, hein, pas des boulets. C'est important parce qu'ils vont devoir vous servir plus tard.

c) Et puis, au diable ! Pourquoi carrément ne pas se lancer dans de nouveaux hobbys ? « Poterie, peinture, art de l'écriture, photographie ou même cours de cuisine... » Cours de cuisine, j'avoue, là c'est un peu osé. Mais faut ce qu'il faut.

Bref, vous voilà enfin retombée sur vos pieds, prête à rebondir : reposée, pleine d'ami(e)s, avec quelques bons stages de cuisine-poterie-macramé, vous voilà prête à l'Aventure !

Étape numéro 4 : L'étude de marché.

« Cela va probablement sonner comme une lapalissade mais... Pour trouver, il faut avant tout savoir ce que l'on cherche ! Un homme, me direz-vous. Certes, [...]» Quoi, vous ne savez pas ce que vous cherchez ? Il faut une définition en deux axes : Le type de relation, et les qualités recherchées. Un copain, un père pour vos futurs enfants (et donc peut-être aussi les siens ?), un riche, un marrant ? Attention toutefois : le prince charmant n'existe pas. C'est juste « la liste des deux ou trois qualités sans lesquelles vous ne souhaitez pas vous attarder. Là encore, une perte de temps évitée ! » La perte de temps, voilà l'ennemie. Efficacité !

Étape numero 5 : Internet.

Car enfin, on est plus au 20ème siècle. Efficacité + ordinateur = productivité. Là, on est tout de suite rassurée, parce que « Sans avoir une vision consumériste de la chose, plus on a de choix, plus on est susceptible de trouver ce qu'on cherche, non ? » Non ? Sans vision consumériste de la « chose » ! Mais quand même...

Sans vouloir être cynique – après tout, quelque soit le moyen, ça ne reste qu'un moyen et tout peut littéralement arriver, je suis quand même un peu effrayée par l'aspect dénudé des rapports humains que cela implique. « […] plus de raison de mentir ou d'essayer d'emberlificoter l'autre pour obtenir ce que l'on veut ! » Plus de mensonge ? Alors adieu la poésie ? Ah, non, on avait dit pas de cynisme.

Étape 6 : Sociabiliser.

La sociabilisation est entendu comme la pratique d'un hobby, mais à plusieurs : On trouve le traditionnel « bénévolat » (pour « Celles qui ont besoin de se sentir utiles »...), l'activité sportive (qui est comme une sorte de bénévolat, mais payant...), les virées entre copines (l'image qui accompagne est assez parlante, quand à sa légende, « Les virées entre copines, une bonne solution pour rencontrer des hommes? », elle rappelle que rien n'est sûr en ce bas monde... et qu'une bonne dose d'humilité est toujours souhaitable... rappel à l'ordre indirect, ce qui ne lui enlève rien de son efficacité.)

Etape 7 : Pétez les plombs et reprenez une activité normale.

Je pourrai continuer jusqu'à la fin de cette suite d'articles (ad nauseam) mais l'essentiel est là. On passera avec délices sur les suggestions modernistes « les fameux blind-date », et les autres rappels à l'ordre « A 30 ans : l'envie de fonder une famille devient pressante. », « A 40 ans : famille à recomposer et emplois du temps surchargés » (photographie de la businness-woman tailleur-portable-poussette) et « 50 ans aujourd'hui, est l'âge de tous les possibles. », en particulier parce que comme chacun sait... « Votre salaire n'a plus rien à voir avec celui de vos 30 ans ». Je ne sais pas comment qualifier ce genre de réflexion. Je perds l'inspiration à contempler la photographie des joueurs de golf, qui ont les moyens de s'« offrir les vêtements et les sorties dans de bons restaurants dont vous rêvez depuis longtemps ».

Je croyais bien rire en lisant ce ramassis de stupidités consensuelles. Et puis voilà, je me sens encore plus mal qu'avant. En plus, j'ai l'impression de l'avoir bien cherché.

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